Commande publique : présentation d’offres distinctes par deux sociétés appartenant au même groupe
Par une décision du 25 novembre 2020, l’Autorité de la concurrence a fait évoluer sa position quant à la qualification d’une entente dans l’hypothèse où plusieurs entreprises d’un même groupe venait à répondre séparément à une même procédure de mise en concurrence.
En effet, jusqu’alors, l’Autorité de la concurrence retenait en la matière que :
« Une concertation anticoncurrentielle est établie sur de tels marchés instantanés dès lors que les entreprises ont coordonné leur comportement ou ont échangé entre elles des informations sur leur comportement futur antérieurement au dépôt de leurs offres.
Des entreprises appartenant à un même groupe, mais disposant d’une autonomie commerciale, peuvent présenter des offres distinctes et concurrentes, à la condition de ne pas se concerter avant le dépôt de ces offres. » (voir en ce sens Autorité de la concurrence, 19 février 2018, Décision n°18-D-02 relative à des pratiques mises en œuvre dans le secteur des travaux d’entretien d’espaces verts en Martinique ou encore Cour d’appel de Paris, 28 octobre 2010, « Société Maquet », n°2010/03405).
La concertation préalable entre les deux entreprises était de nature à entraîner la reconnaissance d’une pratique anticoncurrentielle.
Avec sa décision n°20-D-19, l’Autorité de la concurrence retient que les réponses distinctes, à une procédure de mise en concurrence, de sociétés appartenant à un même groupe ne sauraient entraîner la qualification d’une entente au sens du droit de la concurrence dès lors que ces sociétés forment une même unité économique.
Ce changement d’appréciation intervient dans la suite d’une jurisprudence de la Cour de justice de l’Union européenne de 2018 sur la question des pratiques anticoncurrentielles dans le cadre de la réponse à un appel d’offres ouvert pour l’attribution d’un marché public. En effet par un arrêt « Ecoservice projektai » du 17 mai 2018, la juridiction européenne a retenu, à propos de l’article 101 du TFUE relatif aux pratiques anticoncurrentielles sanctionnées en droit interne aux articles L. 420-1 et s. du Code de commerce, que :
« Pour ce qui est de l’article 101 TFUE, il convient de rappeler que cet article ne s’applique pas lorsque les accords ou pratiques qu’il proscrit sont mis en œuvre par des entreprises formant une unité économique (voir, en ce sens, arrêts du 4 mai 1988, Bodson, 30/87, EU :C :1988 :225, point 19, et du 11 avril 1989, Saeed Flugreisen et Silver Line Reisebüro, 66/86, EU :C :1989 :140, point 35). Il appartient toutefois à la juridiction de renvoi de vérifier si les soumissionnaires A et B forment une unité économique. » (CJUE, 17 mai 2018, n°C-531/16).
C’est ainsi que deux sociétés, appartenant au même groupe et formant effectivement une seule unité économique, pourront présenter des offres distinctes pour une même procédure de mise en concurrence sans que cela constitue une entente, pratique sanctionnée par le droit de la concurrence, et ce quand bien même il serait fait la démonstration que les deux sociétés se sont concertées avant la remise de leur offre.
Si une telle pratique ne fait plus l’objet d’une sanction sur le plan du droit de la concurrence, cela pourra être le cas sur le plan du droit de la commande publique.
Ainsi, une concertation entre deux entreprises d’un même groupe afin de présenter deux offres distinctes pourrait être de nature à constituer une atteinte au principe d’égalité de traitement entre les candidats à un contrat de la commande publique.
Un concurrent évincé pourrait contester l’attribution du contrat à l’une des deux entreprises, ou aux deux dans le cas d’un marché avec plusieurs lots, devant le juge du référé précontractuel ou dans le cadre d’un recours en contestation de validité du contrat avec le recours « Tarn et Garonne ».
De la même façon, après la découverte d’une telle concertation, la personne publique pourrait, si le contrait venait à être signé, introduire un recours « Béziers I » contestant la validité du contrat.
Cette modification de la position de l’Autorité de la concurrence ne saurait donc laisser le champ libre aux entreprises d’un même groupe dans la pratique de réponses distinctes à une procédure d’attribution d’un contrat de la commande publique.