La Loi ELAN réforme à nouveau le contentieux de l’urbanisme
Dans la continuité de l’ordonnance n° 2013-879 du 18 juillet 2013 (inspirée du rapport Labetoulle du 17 mai 2013) et du décret n° 2018-617 du 17 juillet 2018 (inspiré du rapport Maugüé de janvier 2018), le chapitre VI (article 80) de la Loi ELAN intitulé «Améliorer le traitement du contentieux de l’urbanisme» réforme à nouveau le contentieux de l’urbanisme, afin de limiter le recours des tiers et de le rendre plus rapide et plus efficace.
Ces dispositions entreront en vigueur le 1er janvier 2019 (L. ELAN, art. 80, V).
Limiter les recours des tiers
Extension de la notion restrictive de l’intérêt à agir
Initialement réservé aux permis de construire, d’aménager et de démolir, la définition restrictive de l’intérêt à agir introduite par l’ordonnance du 18 juillet 2013, se voit étendue à l’ensemble des décisions relatives à l’occupation ou à l’utilisation du sol, intégrant ainsi (notamment) les non-oppositions à déclaration préalable ou les certificats d’urbanisme positifs (art. L. 600-1-2 C. urb).
Pour ces autorisations, il appartiendra donc également à tout requérant, de démontrer que la construction, l'aménagement ou les travaux sont de nature à affecter directement les conditions d'occupation, d'utilisation ou de jouissance de son bien (v. CE, 10 juin 2015, Brodelle et Gino, req. n°386121). Rappelons que cette démonstration est en principe plus aisée pour le voisin immédiat, compte tenu de la proximité avec la construction contesté (v. CE, 13 avril 2016, Bartolomei req. n°389798).
Les limites imposées aux recours associatifs
La loi ELAN prévoit que les associations requérantes doivent, sous peine d’irrecevabilité de leur recours, avoir déposé leurs statuts en préfecture au moins un an avant l’affichage en mairie de la demande du pétitionnaire (art. L. 600-1-1 C. urb).
En outre, il est prévu que les transactions conclues avec des associations ne peuvent pas avoir pour contrepartie le versement d’une somme d’argent, sauf lorsque les associations agissent pour la défense de leurs intérêts matériels propres (art. L. 600-8 C. urb).
Une définition plus souple des recours abusifs
L’ordonnance du 18 juillet 2013 avait introduit la possibilité pour le pétitionnaire de former une demande de dommages et intérêts devant le juge administratif saisi du recours pour excès de pouvoir contre un permis de construire, lorsque ce recours était « mis en œuvre dans des conditions qui excèdent la défense des intérêts légitimes du requérant et qui causent un préjudice excessif au bénéficiaire du permis » (art. L. 600-7 C. urb).
Cette rédaction a été jugée trop restrictive et en pratique peu utilisée.
La loi Elan vient assouplir les conditions d’application de cette mesure en donnant une nouvelle définition du recours abusif. Désormais, il s’agit d’un recours «mis en œuvre dans des conditions qui traduisent un comportement abusif de la part du requérant et qui causent un préjudice au bénéficiaire du permis ». Sont donc supprimées la condition selon laquelle le recours contre le permis «excède la défense des intérêts légitimes» et l’obligation d’établir un «préjudice excessif» (art.L. 600-7 C. urb).
L’enregistrement des transaction étendues
La loi ELAN étend l’obligation d’enregistrement des transactions dans les conditions de l’article 635 du Code général des impôts, à celles conclues en amont de tout recours contentieux (dans le cadre d’un recours gracieux ou en dehors de tout recours). Le Code vise désormais que « Toute transaction par laquelle une personne ayant demandé ou ayant l'intention de demander au juge administratif l'annulation » d’une autorisation d’urbanisme (art. L 600-8 C.urb).
Améliorer l’efficacité des procédures contentieuses
Action en démolition à l’initiative du préfet
L’article L.480-13 du Coe de l’urbanisme prévoit que le propriétaire d'une construction édifiée conformément à un permis de construire ne peut être condamné par un tribunal de l'ordre judiciaire à la démolir du fait de la méconnaissance des règles d'urbanisme ou des servitudes d'utilité publique que si préalablement deux conditions sont remplies :
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le permis a été annulé pour excès de pouvoir par la juridiction administrative
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la construction est située dans l'une des zones énumérées à l’article L.480-13 (zones naturelles protégées, sites patrimoniaux, etc)
La loi ELAN supprime ces restrictions géographiques pour le préfet qui a obtenu l’annulation d’une autorisation sur déféré (C. urb., art. L. 600-6). Ce dernier pourra ainsi demander la démolition de constructions situées en dehors de ces zones protégées.
L’unicité du contentieux des permis liés à un même projet
En cas de délivrance d’un permis modificatif ou de régularisation en cours d’une instance engagée à l’encontre d’un permis de construire initialement délivré, la loi ELAN prévoit que la contestation de ces décisions doit nécessairement avoir lieu dans le cadre de cette même instance (article L. 600-5-2).
Amélioration du mécanisme de régularisation des permis en cours d’instance
La Loi ELAN modifie la rédaction des articles L. 600-5 et L. 600-5-1 afin d’améliorer le mécanisme de régularisation des autorisations d’urbanisme en cours d’instance.
Jusqu’ici, ces dispositions ouvrent au juge la faculté de prononcer soit l’annulation partielle d’une autorisation d’urbanisme, s’il estime qu'un vice n'affectant qu'une partie du projet peut être régularisé par un permis modificatif (art. L.600-5. C.urb), soit un sursis à statuer s’il estime qu’un vice entraînant l'illégalité de cet acte est susceptible d'être régularisé (Art. L.600-5-1 C.urb).
La loi ELAN prévoit désormais que :
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Si le juge administratif identifie un vice régularisable dans les conditions susvisées, il a l’obligation (et non plus la simple faculté) de prononcer l’annulation partielle ou le sursis à statuer ;
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Le refus du juge de faire droit à une demande d'annulation partielle ou de sursis à statuer doit être motivé ;
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La régularisation du projet par permis modificatif peut intervenir même après l'achèvement des travaux, que ce soit dans le cadre d’une annulation partielle ou d’un sursis à statuer.
Aménagement du référé suspension
La loi ELAN limite d’abord l’usage du référé suspension dans le temps. Un recours ne peut ainsi être assorti d’une demande de suspension devant le juge des référés qu’à partir de la délivrance de l’autorisation et jusqu’à l’expiration du délai de « cristallisation des moyens soulevés devant le juge saisi en premier ressort » (L. 600-3 C. urb), c’est-à-dire jusqu’à l’expiration du délai de deux mois à compter de la production par le pétitionnaire ou l’autorité ayant délivré l’autorisation de son premier mémoire en défense (R. 600-5 C. urb).
La Loi ELAN consacre ensuite la jurisprudence en inscrivant à l’article L.600-3 que la condition d’urgence est présumée satisfaite en cas de référé suspension exercé à l’encontre d’une autorisation d’urbanisme (v. CE, 27 juill. 2001, n° 230231, cne Tulle), la construction étant par principe irréversible.
Effets de d’illégalité du PLU sur les autorisations d’urbanisme
La Loi crée un nouvel article L. 600-12-1 qui dispose que l’annulation ou la déclaration d’illégalité d’un SCOT, d’un PLU, d’un document d’urbanisme en tenant lieu ou d’une carte communale est, par elle-même, sans incidence sur les décisions relatives à l’utilisation du sol ou à l’occupation des sols délivrées antérieurement à leur prononcé, dès lors que ces annulations ou déclarations d’illégalité reposent sur un « motif étranger aux règles d’urbanisme applicables au projet ». Une règle analogue est mise en place pour les permis d’aménager (C. urb, art. L. 442-14).
Pour mémoire, le Conseil d’Etat considérait jusqu’ici que les autorisations d’urbanisme ne constituent pas des actes d’application des documents d’urbanisme (CE, 12décembre 1986, n°54701, Sté Gépro). Toutefois, il admettait que l'illégalité du plan se répercute sur les permis de construire s'il était démontré que ceux-ci méconnaissent les dispositions du plan antérieur (ou du RNU) remises en vigueur par l'illégalité du plan (CE, 7 févr. 2008, n° 297227 Commune de Courbevoie). Cette jurisprudence avait pour inconvénient de fragiliser les permis accordés sous l’empire d’un PLU illégal, dès lors que l’application du document d’urbanisme immédiatement antérieur comportait des règles d’urbanisme devenues « désuètes ».
Cette disposition consiste à couper l’effet de l’illégalité du PLU lorsque cette illégalité n’a pas d’incidence sur la réglementation applicable à la zone du permis concerné, ou plus précisément ne résulte pas de motifs qui affectent le projet autorisé. Cette nouvelle mesure paraît salutaire car lorsque l’annulation totale ou partielle du PLU est prononcée pour un motif qui n’a pas de lien avec le droit des sols dans la zone où est située une autorisation de construire, il semble légitime qu’il n’y ait pas de répercussions de l’annulation du PLU sur les permis délivrés.
Autorisation d’urbanisme valant autorisation au titre d’une autre législation
La loi ELAN tente par ailleurs de clarifier le régime contentieux des autorisations de construire valant autorisation au titre d’une autre législation, lesquelles sont désormais soumises aux règles contentieuses du code de l’urbanisme, sauf dispositions contraires (art. L. 600-13 C. urb).
LOI n° 2018-1021 du 23 novembre 2018 portant évolution du logement, de l'aménagement et du numérique