Modalités d’indemnisation de l’acheteur victime d’une pratique anticoncurrentielle et précisions sur les dépenses utiles
Par un arrêt du 17 juin 2022, le Conseil d’Etat a rappelé les modalités selon lesquelles un acheteur public, victime d’une entente, pouvait obtenir une indemnisation et a apporté des précisions intéressantes sur les dépenses utiles dont peut se prévaloir le cocontractant de l’acheteur.
En effet, dans une décision n°420045 de juillet 2020 déjà relative au « cartel des panneaux de signalisation » et concernant les mêmes parties, le Conseil d’Etat avait clairement retenu que l’acheteur pouvait alternativement ou cumulativement :
- Demander l’annulation du contrat et en tirer les conclusions financières de manière rétroactive ;
- Demander sur le terrain quasi-délictuel, la réparation des préjudices subis du fait du comportement fautif du titulaire du marché.
Le Conseil d’Etat précisait alors que si l’acheteur obtenait l’annulation du contrat, il ne pouvait solliciter sur le terrain quasi-délictuel que la réparation d’autres préjudices causés par le comportement du cocontractant. Par ailleurs, il était bien précisé qu’en cas d’annulation, le cocontractant « doit restituer les sommes que lui a versées la personne publique mais peut prétendre en contrepartie, sur un terrain quasi-contractuel, au remboursement des dépenses qu'il a engagées et qui ont été utiles à celle-ci, à l'exclusion, par suite, de toute marge bénéficiaire ».
Dans l’arrêt du 17 juin dernier, le Conseil d’Etat - après avoir rappelé ce régime juridique d’indemnisation de l’acheteur - est venu préciser le contenu de ces dépenses dites utiles, dont a bénéficié l’acheteur et que le cocontractant peut obtenir en cas d’annulation du contrat.
Ainsi, après avoir exclu « toute marge bénéficiaire », le Haute Juridiction retient que doivent être comprises dans les dépenses utiles celles « qui ont été directement engagées par le cocontractant pour la réalisation des fournitures, travaux ou prestations » destinés à l'administration. L’arrêt écarte également de ces dépenses (i) la quote-part des frais généraux qui ont contribué à l’exécution du marché, (ii) les frais de communication et (iii) les frais financiers sauf pour les marchés de partenariat.
Pour apprécier spécifiquement ces dépenses utiles, l’arrêt du 17 juin 2022 indique bien qu’il appartient au juge administratif d’évoluer le montant de ces dépenses utiles et qu’il peut le faire en ordonnant une expertise.
Cette précision relative au recours à une expertise judiciaire pour évaluer ces dépenses utiles est dans la droite lignée du raisonnement développé dans le même arrêt puisque le Conseil d’Etat écarte la méthode de calcul présentée par l’acheteur pour évaluer son surcoût dans la mesure où celle-ci reposait principalement sur la comparaison avec d’anciens marchés similaires.
L’indemnisation des acheteurs publics, victimes de pratiques anticoncurrentielles, ne peut donc se faire sans (i) prise en compte des dépenses utiles supportées par le cocontractant et (ii) une évaluation financière précise qui passera probablement par une expertise judiciaire.
Conseil d'État, 17 juin 2022, « Société Lacroix Signalisation », n°454189