Note technique dégradée pour une offre incomplète et imprécise
Les pouvoirs adjudicateurs se trouvent souvent désemparés face à une offre imprécise ou lacunaire dans le cadre d’un appel d’offre. Dans un arrêt du 15 novembre 2018, la Cour administrative d’appel de Lyon apporte un éclairage sur la position que peuvent adopter les acheteurs dans ce cas.
Pour mémoire, le Code de la commande publique offre deux facultés aux acheteurs :
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L’article R. 2161-5 du Code de la commande publique permet de demander certaines précisions aux candidats sur la teneur de leurs offres lorsque celles-ci sont incohérentes ou ambiguës. La nature de la procédure, l’appel d’offres, impose toutefois une limite : la mise en œuvre de cet échange ne doit pas entraîner de négociation, c’est-à-dire une modification de l’offre du candidat.
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L’article R. 2152-2 du Code de la commande publique permet également à l’acheteur de régulariser une offre irrégulière qui ne respecte pas les exigences formulées dans les documents de la consultation, en particulier parce qu'elle est incomplète, ou qui méconnaît la législation applicable. Toutefois, là aussi, une limite est posée, à savoir que la régularisation ne peut avoir pour effet de modifier des caractéristiques substantielles de l’offre.
La mise en œuvre de l’une ou l’autre de ces procédures n’est toutefois pas sans inconvénients.
En plus du rallongement des délais de procédure, l’acheteur encourt en effet des risques non négligeables.
Il lui revient de déterminer selon les cas, si la réponse d’un candidat relève de la stricte précision/régularisation ou conduit à une modification de l’offre. Or, cette distinction, reposant sur l’appréciation de la portée des éléments apportés par le candidat, n’est pas aisée. Elle a surtout des conséquences importantes, puisqu’une erreur peut conduire à l’admission d’une offre illégalement modifiée, ou au contraire au rejet irrégulier d’une offre considérée, à tort, comme ayant été modifiée.
Face à ces éléments, certains pouvoirs adjudicateurs ont pris l’habitude de dégrader les notes techniques des offres imprécises ou incomplètes plutôt que d’utiliser les procédures des articles R. 2161-5 ou R 2152-2, et ainsi éviter les incertitudes en découlant.
Amenée à statuer sur cette pratique, la Cour administrative d’appel de Lyon se montre pragmatique et estime que l’imprécision et/ou l’incomplétude de l’offre, en l’espèce des CV lacunaires ou manquants, peut motiver une note inférieure à une offre plus précise.
« • 10. De son côté, le groupement Spie Sud-Est et ATM Group, qui n'avait fourni aucun CV pour les prestations de sécurité et de gardiennage, n'avait présenté que des CV peu détaillés s'agissant des personnels de maintenance. Il proposait la présence sur site d'un responsable et de 7 techniciens, dont un débutant. 2 d'entre eux étaient titulaires d'un BTS, 4 possédaient un Bac Professionnel et deux un CAP. Par ailleurs un chargé d'affaires devait assurer la gestion du contrat à distance depuis l'agence de Spie Sud-Est.
• 11. Il résulte de ce qui précède, et ainsi que l'a jugé le tribunal administratif de Lyon, que le pouvoir adjudicateur n'a pas illégalement favorisé la société Cofely GDF-Suez Énergie Services en lui attribuant une note de 10/10 au critère n° 3 et une note de 7/10 au groupement Spie Sud-Est et ATM Group. (...) »
La pratique coutumière des pouvoirs adjudicateurs face aux offres incomplètes ou manquant de précision est donc implicitement admise.
Reste qu’à notre sens, cette position est critiquable, car imprécisions/incomplétudes de l’offre et appréciation des mérites de celle-ci sont bien deux questions différentes.
L’hypothèse la plus délicate est sans doute celle des offres incomplètes, dont le Code impose qu’elles soient rejetées comme étant irrégulières, mais que l’acheteur décide de noter et classer. Si une telle offre arrive en première position, la procédure pourrait encourir un risque d’annulation à la demande des évincés. Si tel n’est pas le cas, le pouvoir adjudicateur pourra toujours se prévaloir de l’absence d’intérêt lésé d’un candidat évincé ayant remis une offre irrégulière…
CAA Lyon, 15 nov. 2018, n° 15LY02742, Société Spie Sud-Est et ATM group