La faute contractuelle du titulaire d’un lot est invocable sur un terrain quasi-contractuel par le titulaire d’un autre lot
Les difficultés que rencontre le titulaire d’un marché public à forfait dans l’exécution de ce marché peuvent le conduire à rechercher devant le juge administratif :
- la responsabilité contractuelle de la personne publique, qui n’est comptable en principe que de ses propres fautes (CE, 5 juin 2013, Région Haute-Normandie, n° 352917, mentionné aux tables ; CE, 12 novembre 2015, Société Tonin, n° 384716, mentionné aux tables) ;
- la responsabilité quasi-délictuelle des autres participants à l’opération qui ne sont pas liés à lui par un contrat de droit privé (CE, 5 juillet 2017, Société Eurovia Champagne-Ardenne, n° 396430, mentionné aux tables).
En l’occurrence, le titulaire du lot « gros œuvre » dont la livraison des travaux était intervenue après la date prévue et qui estimait le retard imputable au titulaire du lot « charpente » avait recherché la responsabilité quasi-délictuelle de ce dernier.
La demande avait été rejetée par les juges du fond, la cour administrative d’appel ayant considéré que le titulaire du lot « gros œuvre » ne pouvait rechercher la responsabilité quasi-délictuelle de celui du lot « charpente » en se prévalant de la méconnaissance, par ce dernier, des clauses de son contrat.
Contrairement au juge judiciaire (Cour de cassation, assemblée plénière, 6 octobre 2006, n° 05-13255, publié au bulletin), le juge administratif estime en effet classiquement que le tiers à un contrat administratif n’est pas recevable à se prévaloir de la méconnaissance de ses clauses (CE, 11 juillet 2011, Mme Gilles, n° 339409, publié au recueil).
Ainsi la personne publique ne peut-elle par exemple pas rechercher la responsabilité quasi-délictuelle d’un participant avec lequel elle n’a pas conclu de contrat en invoquant les fautes qui résulteraient de l’inexécution, par ce participant, de son contrat (CE, 7 décembre 2015, Commune de Bihorel, n° 380419, publié au recueil).
Reprenant la solution d’une jurisprudence antérieure (CE, 24 juillet 1981, Société générale d’entreprise, n°13519, mentionné aux tables), le Conseil d’Etat censure cependant la position de la cour administrative d’appel en considérant que :
« […] Dans le cadre d'un litige né de l'exécution de travaux publics, le titulaire du marché peut rechercher la responsabilité quasi-délictuelle des autres participants à la même opération de construction avec lesquels il n'est lié par aucun contrat, notamment s'ils ont commis des fautes qui ont contribué à l'inexécution de ses obligations contractuelles à l'égard du maître d'ouvrage, sans devoir se limiter à cet égard à la violation des règles de l'art ou à la méconnaissance de dispositions législatives et réglementaires. Il peut en particulier rechercher leur responsabilité du fait d'un manquement aux stipulations des contrats qu'ils ont conclus avec le maître d'ouvrage […] »
A suivre cette nouvelle jurisprudence, il serait donc désormais permis au titulaire d’un marché qui recherche la responsabilité quasi-délictuelle d’un autre participant à l’opération de se prévaloir des fautes commises par ce participant dans l’exécution de son contrat…
CE, 11 octobre 2021, Société CMEG, n° 438872, publié au recueil