Variations du juge administratif dans l’appréciation d’une éventuelle impartialité de l’acheteur public dans la procédure d’attribution d’un contrat public
L’éventuelle impartialité d’un acheteur public vis-à-vis de l’ensemble des candidats et soumissionnaires à l’attribution d’un marché public apparait logiquement contraire au principe d’égalité de traitement des candidats (art. L.3 du Code de la commande publique).Le juge administratif a d’ailleurs reconnu que l’impartialité de l’acheteur public dans le cadre d’une procédure d’attribution constituait un manquement aux obligations de publicité et de mise en concurrence susceptible d’entraîner l’annulation de la procédure au stade précontractuel (voir en ce sens Conseil d'État, 14 octobre 2015, n°390968 ou Conseil d'État, 18 décembre 2019, n°432590).
Il convient également de relever dans le même domaine que la situation de conflits d’intérêts, que l’opérateur économique pourrait créer du fait de sa candidature, est de nature à constituer un motif d’exclusion au stade de la candidature qui est à l’appréciation de l’acheteur (art. L. 2141-10 du Code de la commande publique).
Pour les acheteurs publics ou pour les opérateurs qui auraient le sentiment qu’une procédure d’attribution pourrait être viciée du fait de l’impartialité de l’acheteur, la grande question porte sur la caractérisation ou non de ce manquement et l’appréciation que le juge peut en faire. Par deux décisions récentes, le Conseil d’Etat nous a donné l’occasion d’observer son raisonnement et son appréciation.
Ainsi, par une première décision n°453653 du 20 octobre 2021, la Haute Juridiction est venue se prononcer sur l’éventuelle impartialité de l’acheteur en raison de la présence par le passé du maire de la Commune au conseil d’administration de l’un des candidats. Ce même maire étant par ailleurs administrateur de la société d’économie mixte requérante. Le Conseil d’Etat a ainsi considéré que la situation d’espèce n’était pas susceptible « de faire naître (…) un doute légitime sur l’impartialité du pouvoir adjudicateur ».
Dans un arrêt n°454466 du 25 novembre 2021, le Conseil d’Etat a cette fois retenu l’impartialité du pouvoir adjudicateur dans la mesure où compte tenu du fait que « M. L..., désigné par le règlement de consultation du marché comme le " technicien en charge du dossier ", chargé notamment de fournir des renseignements techniques aux candidats, a exercé des fonctions d'ingénieur-chef de projet en matière de nouvelles technologies de l'information et de la communication au sein de l'agence d'Ajaccio de la société NXO France », il ne pouvait qu’être retenu que « sa participation à la procédure de sélection des candidatures et des offres pouvait légitimement faire naître un doute sur la persistance d'intérêts le liant à la société NXO France et par voie de conséquence sur l'impartialité de la procédure suivie par la collectivité de Corse. ».
Il ressort donc de l’examen de ces deux décisions que le juge administratif reste dans une appréciation « au cas par cas » de l’éventuelle impartialité du pouvoir adjudicateur mais (i) que ce manquement n’est pas nécessairement caractérisé lorsqu’un élu d’une collectivité a été membre d’un organe de direction d’un opérateur, alors (ii) que celui-ci peut être caractérisé lorsqu’une des personnes en charge de l’examen et de l’appréciation technique des offres exerçait juste avant des fonctions similaires chez un opérateur candidat à l’attribution d’un marché public ou d’une concession.
Face à ces situations, la prudence et le principe de précaution doivent rester de mise pour les acheteurs afin de veiller à ne pas exposer leurs procédures d’attribution.
Conseil d'État, 20 octobre 2021, « SAGEP », n°453653
Conseil d'État, 25 novembre 2021, « Société Corsica Networks », n°454466, publié au Recueil Lebon