Le principe d’interdiction des libéralités empêche les parties de prévoir une indemnité de résiliation supérieure au préjudice subi
Par un bail emphytéotique conclu en 1966 pour une durée de soixante ans, la commune de Grasse a donné un terrain à bail à la société Grasse-Vacances pour la construction et l’exploitation d’un village de vacances. Par une délibération du 20 septembre 2016, le conseil municipal de Grasse a autorisé le maire à résilier ce contrat, en accord avec l’emphytéote, en contrepartie du versement à la société, à titre d’indemnité, de la somme de 1 700 000 euros. À la demande de conseillers municipaux d’opposition, le tribunal administratif de Nice a annulé cette délibération. Par l’arrêt contre lequel la société Grasse Vacances se pourvoit en cassation, la cour administrative d’appel de Marseille a rejeté son appel contre le jugement de ce tribunal.
Le Conseil d’Etat a, dans cette affaire, eu l’occasion de resserrer son contrôle sur les indemnités contractuellement prévues en cas de résiliation d’un bail emphytéotique. De jurisprudence constante (voir ce sens, CE, 4 mai 2011, n°334280), et conformément au principe d’interdiction des libéralités (voir en ce sens, CE, 19 mars 1971, « Mergui », n°79962) : l’étendue et les modalités de l’indemnisation de résiliation du cocontractant pouvaient être déterminées par les stipulations contractuelles, sous réserve qu’il n’en résulte pas, au détriment d’une personne publique, une disproportion manifeste entre l’indemnité ainsi fixée et le montant du préjudice résultant des dépenses du cocontractant qu’il a exposées et du gain dont il a été privé.
Le Conseil d’Etat estime désormais que « les parties à un contrat conclu par une personne publique peuvent déterminer l'étendue et les modalités des droits à indemnité du cocontractant en cas de résiliation amiable du contrat, sous réserve qu'il n'en résulte pas, au détriment de la personne publique, l’allocation au cocontractant d’une indemnisation excédant le montant du préjudice qu’il a subi résultant du gain dont il a été privé ainsi que des dépenses qu’il a normalement exposées et qui n’ont pas été couvertes en raison de la résiliation du contrat ».
Le Conseil d’Etat resserre ainsi son contrôle qui passe d’un contrôle dit de « disproportion manifeste » à un contrôle de l’excédent du montant du préjudice subi. Si ce dernier ne justifie pas le resserrement de son contrôle, le Rapporteur public, dans ses conclusions sous cette affaire, se réfère à la jurisprudence du Conseil constitutionnel et plus particulièrement au respect du principe d’égalité devant les charges publiques ainsi qu’à l’exigence du bon emploi des deniers publics, lesquels ne seraient pas assurés « si étaient alloués à des personnes privées une indemnisation excédant le montant de leur préjudice » (voir en ce sens, CC, 20 janvier 2011, Décision n°2010-624).
Le Conseil d’Etat annule l’arrêt de la Cour administrative d’appel en retenant que : « en refusant de tenir compte, pour déterminer si le montant de l'indemnité accordée par la commune au titre de la résiliation du contrat était excessif au regard du préjudice en résultant pour le cocontractant au titre du gain dont il a été privé, du prix qu'il pouvait tirer de la cession des droits qu'il tenait du bail, afin de retenir le plus élevé des deux montants correspondant soit au bénéfice escompté de l'exploitation du site pour la durée du contrat restant à courir soit à la valeur des droits issus du bail, la cour a commis une erreur de droit ». En d’autres termes, l’indemnité doit s’apprécier, s’agissant du gain manqué, par rapport à la perte de bénéfice causé par la fin anticipée du contrat dans l’hypothèse où l’emphytéote a fait le choix d’exploiter lui-même, ou bien par rapport à la perte de la valeur des droits réels qu’il ne peut plus céder pour la période restant à courir s’il l’a confié à un tiers.
Conseil d’Etat, 16 décembre 2022, n°455186, « Société Grasse Vacances », Publié au Recueil Lebon